La France répond à l’ONU : la Ministre du handicap est-elle vraiment du côté des personnes handicapées ?

Le Comité des droits des personnes handicapées (CRPD) de l’ONU a interrogé la France cet été, s’inquiétant que la loi sur l’euthanasie et le suicide assisté actuellement en cours de discussion n’entraîne des risques spécifiques pour les personnes handicapées. Cette procédure rarissime rejoint nos propres inquiétudes : nous ne cessons de dire depuis des mois que l’euthanasie des personnes handicapées est l’angle mort de cette loi – et bon nombre de parlementaires sont d’accord avec nous. D’ailleurs le CRPD a récemment condamné le Canada précisément pour cette euthanasie massive des personnes handicapées qui a résulté de la légalisation de « l’aide médicale à mourir ».

Le 27 août « la France » a répondu.

Mais cette réponse est une imposture.

D’abord, nous ignorons qui répond, même si, logiquement, Madame Parmentier-Lecocq, ministre déléguée et chargée de l’Autonomie et du Handicap, s’en est sans doute chargée : la lettre prétend parler au nom du gouvernement, alors même que le Premier ministre, M. Bayrou, a publiquement partagé nos inquiétudes. Dès lors, comment la ministre peut-elle dire, au nom du gouvernement : circulez, il n’y a rien à voir, aucun danger pour les personnes handicapées ! Sur cette question, la France est divisée, et le gouvernement l’est tout autant : Mme Parmentier-Lecocq ne donne que son point de vue, un point de vue idéologique, pas celui du Premier ministre, pas celui du gouvernement, et moins encore celui de la France.

Cette lettre est aussi une gifle pour l’ONU puisque, sur les questions qui l’embarrassent, la ministre répond tout simplement que la question est sans objet – autant dire idiote. Ainsi le CRPD s’inquiète-t-il du fait que les autorités de l’Etat français prétendent que lui, le CRPD, soutiendrait la légalisation de l’euthanasie. À quoi la lettre répond que le gouvernement a fait le choix de ne pas parler d’euthanasie mais d’« aide à mourir ». Comme si ce tour de passe-passe permettait d’oublier que Mme Parmentier-Lecocq avait diffusé au mois de mai une vidéo faisant croire que cette évolution de la législation française serait conforme, voire demandée, par une  convention internationale des Nations Unies. Pourquoi pas exigée pendant qu’on y est ?

Plus généralement, toute la lettre consiste à soutenir qu’il n’existe aucun danger d’euthanasie des personnes handicapées. Nous persistons, quant à nous, à considérer que le double discours gouvernemental non seulement n’a rien de rassurant mais exacerbe notre vigilance : on ne peut pas à la fois dire que les personnes handicapées ne sont pas concernées par la loi et dire qu’il serait discriminatoire de leur refuser le « droit à mourir » (propos tenus à l’Assemblée en première lecture). D’ailleurs le fait que Mme Vautrin, ministre de la Santé, ait, au nom du gouvernement, systématiquement rejeté tous les amendements protégeant les personnes handicapées, a aggravé notre inquiétude de parents, familles, et proches de personnes handicapées.

La réalité, c’est que le handicap est considéré généralement – et très spécialement par beaucoup de nos dirigeants politiques français – comme un poids (pour la personne elle-même, pour son entourage et pour la société) et, derrière la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, apparaît la vérité de l’enjeu, l’impensé collectif qui ne peut s’énoncer : évidemment, l’élimination de ce « poids ». Autrefois on appelait cela « mort miséricordieuse », désormais cela se camoufle sous le beau mot d’« autonomie de la personne », mais il s’agit toujours de « libérer » la personne et la société d’un poids que les bien-portants jugent insupportable. Naturellement, cela n’est pas dit franchement. Mais c’est un impensé qui, compte tenu de la force des idées véhiculées, s’exprime, affleure de temps à autre dans l’espace public. Ainsi un député (ligne écologie de gauche) M. Emmanuel Duplessy s’est indigné publiquement, il y a peu, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, que la mère d’un autre député (de ligne politique opposée), M. Eric Ciotti, femme tétraplégique, ait coûté à la Sécurité sociale 500 000 € en 18 ans. Comment entendre cette dénonciation dégradante, sinon comme une culpabilisation des personnes handicapées et de leurs proches, un reproche que cette femme vive encore alors que son état de santé, son handicap, justifierait qu’elle « débarrasse le plancher » d’abord parce qu’elle coûte cher à tous ?

Ajoutons que cette lettre montre à quel point l’idéologie dissout le sens commun. En lisant cette longue missive, on trouve (paragraphe I D) l’information que les autorités consacrent de considérables efforts à développer une Communication Alternative et Améliorée (CAA) : comment comprendre ces lignes jargonnantes sans y lire que, plutôt que de soutenir les personnes handicapées et les proches, le gouvernement va leur expliquer en bande dessinée comment se suicider ? De qui se moque-t-on ?

C’est en fait l’idée même d’un « droit à être mis à mort » qui est contradictoire. Qui donc parlerait d’un droit à être réduit en esclavage ou d’un droit à être torturé ? Il est vrai que, dans la société actuelle, le « droit à être torturé » pourrait bien être prochainement revendiqué. Cet été, la mort en direct du streamer Jean Pormanove a jeté une lumière crue sur la perversité d’un système médiatique où les spectateurs sont invités à payer pour que des personnes subissent ou mettent en scène des sévices de plus en plus graves. Et il n’est pas insignifiant qu’à côté de Jean Pormanove, à la santé fragile, une personne handicapée connue sous le pseudonyme de Coudoux ait été également torturée – au nom naturellement de « l’autonomie », puisque l’un des avocats des tortionnaires a déclaré : « En France, contrairement à d’autres systèmes, la liberté de l’individu à agir, y compris contre son intérêt, prime. »

Dans le contexte du débat sur le « droit à mourir », ces propos sont glaçants. Et les proches de personnes handicapées auraient apprécié que Mme la ministre des personnes handicapées, Mme Parmentier-Lecocq, dénonce vigoureusement ce scandale de la torture en direct de personnes handicapées. Au lieu de quoi elle a semblé étrangement muette, préférant affirmer à qui veut l’entendre que les personnes handicapées réclament de pouvoir être mis à mort si c’est leur souhait !