Témoignage vécu dans une pharmacie hospitalière

Je suis retraitée et devant les besoins immenses en personnel de santé et particulièrement dans mon domaine d’activité- je suis pharmacien hospitalier- j’effectue des remplacements régulièrement, tant dans le public que dans le privé. C’est un service à rendre, on trouve si peu de pharmaciens hospitaliers disponibles pour remplacer leurs collègues malades ou absents ou en l’absence même de titulaire, faute de combattants.
L’expérience me permet de m’adapter relativement rapidement. La plupart des équipes de soignants sont motivées, positives, bien harmonisées, au service des patients. Mais il m’arrive aussi d’avoir affaire à des soignants plus que déroutants…
Lorsque j’effectuais un remplacement dans un endroit que l’on pourrait qualifier de « désert médical », un médecin titulaire du service de médecine générale était en congés pendant trois semaines . Pendant ce temps, il y a eu trois médecins remplaçants, un par semaine. Ce qui ne facilite pas un bon suivi des patients !
La première des trois semaines se déroule sans problème. mais la deuxième m’a donné rétrospectivement des sueurs froides… Cette semaine en question, le remplacement était assuré par une femme médecin, docteur K., d’un autoritarisme agressif, cherchant à impressionner le personnel, entre autres par son vocabulaire facilement grossier. Avec elle, le dialogue n’était guère possible. Si bien que les soignants de son service préféraient me téléphoner à moi, la pharmacienne, pour que je fasse remonter leurs questions auprès du médecin.
À la pharmacie, très bien organisée, deux préparatrices étaient présentes, consciencieuses, compétentes.
Aucun produit ne peut sortir d’une pharmacie hospitalière sans que la délivrance n’ait été validée par le pharmacien. Il faut donc vérifier chaque prescription, sa pertinence quant au patient concerné, le poids, le dosage, les pathologies, les contre-indications, les interactions, les résultats de biologie etc.
Un jour, je remarque une prescription en gériatrie surprenante.
Le docteur K. prescrit pour madame T., une patiente de 68 ans, un hypnotique et un analgésique majeur. Les dosages prescrits sont clairs : sans nul doute l’intention est d’obtenir une sédation profonde jusqu’au décès. Ce qui en soi est courant en fin de vie, sauf que là, je ne vois rien de récent, aucun contexte qui puisse motiver cette prescription. Je me dis que le docteur K. n’a pas dû encore avoir le temps de remplir le dossier médical .
Je décide d’attendre plus d’informations, et en attendant de bloquer la délivrance .
Arrive, alors, à la pharmacie, un jeune infirmier bien costaud, qui ne se laissait pas intimider par le médecin, et dont j’avais déjà remarqué les compétences et le bon contact avec les patients.
Il vient chercher les médicaments pour son service et m’interroge par rapport à la prescription de madame T.
Je lui réponds que le traitement habituel de cette patiente concernant l’hypertension et le diabète est bien prêt mais que pour l’instant je ne délivre pas les traitements de fin de vie et l’interroge moi-même pour savoir s’il y a un nouvel élément récent et grave qui motiverait cette récente prescription.
L’infirmier me répond que non, rien du tout, cette patiente est exactement comme d’habitude, alitée, assez peu réactive en ce sens qu’elle ne parle pas, mais avec un bon moral. J’apprends au cours de la discussion que cette personne est trisomique. Un frisson me parcourt, le véritable motif de la prescription, quel est-il vraiment ?…! Pas d’indication médicale donc, mais a-t-on un souhait de la patiente ? Est-ce qu’on en a parlé à ses proches ? Y a-t-il eu une réunion collégiale ? Quel est le sens de tout cela ?
Face aux réponses négatives de l’infirmier, je lui confirme qu’aucune délivrance ne sera faite par la pharmacie, ce à quoi il me répond que même si j’avais validé cette prescription de fin de vie, en conscience il ne l’aurait pas administrée. Et il repart rejoindre son service.
La journée s’écoule, et toujours rien de nouveau dans le dossier. Je demeure en attente, ne délivre pas.
Deux jours plus tard, le docteur K. termine son remplacement, sans être revenue sur le sujet.
Madame T. ne saura jamais quelle menace a plané sur elle ; son infirmier est heureux de la voir lui sourire.
Que pourrait-on faire pour cadrer ces débordements ? Et quelle était la véritable intention du médecin ? Je ne le saurai jamais exactement mais je m’interroge toujours sur les débordements, surtout dans un contexte de pénurie de médecins.
J’aimerais tellement que la « prise en soin » et non la « prise en charge » de la personne dans son entièreté, quel que soit son âge, quelles que soient ses limitations et ses handicaps soit une réalité. Encore du chemin à parcourir…
